mercredi 28 février 2007

Jour 28 : Les remparts de ma naissance



Pour se rendre du Jardin disparu de mon enfance à l'endroit précis où je suis né, le chemin est très facile : on commence par remonter la rue des Cadets de Saumur vers le Nord, on peut bifurquer vers la gauche devant l'entrée principale du lycée Descartes, passer devant l'école Cézanne, longer l'institution Jeanne d'Arc, et puis c'est tout droit, jusqu'aux remparts ocres de la ville. A peine 4 kms. Sans bagages my sweet Ginet se sent des ailes... Sur la photo ci-dessus, l'Avenue des Nations-Unies et le mur d'enceinte de Jeanne D'Arc sur la droite.







A Bab Rouah, je ne passe pas sous les portes, je prends à gauche et je continue à longer les remparts de mon enfance en suivant l'avenue Ibn Toumart jusqu'à la Maternité des Orangers...



Je fais les derniers hectomètres de ce voyage initiatique en longeant à pieds les remparts, j'ai  ma main droite sur le guidon de my sweet Ginet, et nous flânons tous les deux, à petits pas, on regarde le monde des remparts qui savoure le soleil printanier. Je n'ai pas d'émotion particulière, je suis là sans surprise, j'avais choisi de longue date ce rendez-vous le long des remparts de ma naissance, c'est pour cela que je pédale depuis un mois maintenant, je suis simplement heureux que le hasard m'ait fait naître dans ce bel endroit, merci la vie, merci de me donner cette joie de marcher 53 ans 7 mois et 1 jour plus tard sur les lieux de ma naissance...







































La voilà la maternité de la Maréchale Lyautey aujourd'hui maternité des Orangers. Rien de plus que quelques bâtiments blancs... Nous sommes tous nés là, frères soeurs, cousins cousines, oncles tantes, amis, parents, tous, sauf Maman, l'aînée de la tribu gharbaoui, née dans le bled, à Karia Daouïa, la maison lumineuse : quand le médecin est arrivé, à cheval, maman était déjà presque née... C'était aussi cela la vie du bled dans les années 20...







Pour faire des photos de la Maréchale, il faut demander l'autorisation au Directeur qui vient de sortir manger. Je reviendrai peut-être photographier ma chambre. Toutes les chambres avaient des noms de fleurs, j'espère que je suis né dans la chambre des jasmins, ou des myosotis, forget me not... Je sais que j'ai respiré là ma première goulée d'air, j'ai poussé là mon premier cri, la vie commence par un premier cri, une première douleur qui vient déchirer la virginité de nos alvéoles pulmonaires... Maman était très fière de son premier garçon, elle l'attendait, après mes deux soeurs aînées... J'étais l'attraction de la maternité, tout le monde venait dans la chambre pour visiter un immense bébé tout en longueur... Je suis né le soir, et comme pourrait l'affirmer mon vieux sage tibétain : "Bébé du soir, espoir" Merci à mes parents d'avoir fait de moi ce que je suis aujourd'hui. Par-dessus le mur d'enceinte de la Maréchale, je prends une dernière photo d'un néflier dont les fruits jaunissent déjà avant d'avoir grandi...







En face de la Maternité de la Maréchale, une croix veillait déjà sur nous, celle de l'Eglise Espagnole. C'est là que mon parrain s'est marié, comme beaucoup d'autres parents et amis dans les années 50/60, pour le meilleur et pour... le meilleur.



SERAPHICO FRANCISCO ASSISIENSISaint François d'Assises
priez pour nous.



Sous le porche de l'église, à l'ombre de Saint François d'Assises, un homme prie, il y a un peu de Sud dans son Est, mais j'aime lorsque le fossé se rétrécit entre les croyances. La Foi, avant toute chose, c'est une affaire de respect et de TOLERANCE...



En quittant la maternité et l'église, je marche encore un peu le long des remparts, puis je rentre dans la ville jusqu'au Marché Central, à la lisière de la Médina. Je confie my sweet Ginet à Abd el Kader qui a la nostalgie de ce temps passé quand il était champion du Maroc de handball avec l'équipe des Cheminots de Rabat...













14 heures, c'est la bonne heure pour faire des affaires au Marché Central, le kilo d'ombrine est affiché à 55 dirhams, environ 5 euros mais on peut l'avoir pour beaucoup moins, jusqu'à moitié prix avant le remballage...



Ombrines, mais aussi sars, loups, loups truités, saint-pierres, soles, mulets, crevettes bouquet, gambas, il y en a pour tous les goûts et toutes les papilles sur le Marché Central de Rabat.



























A l'extérieur de l'enceinte du Marché Central, sous les arcades, les solettes sautent de l'étal à la poële et à l'assiette, en deux temps trois mouvements, c'est tout le charme des petits restaurants animés de la rue...



Mon serveur était sympathique, rapide, efficace, de plus il m'a balancé du "voilà pour vous jeune homme" pendant tout le repas! Dans sa pochette de chemise et dans le petit verre bleu près du pot de moutarde, les serviettes en papier indispensables: les petites solettes se consomment uniquement avec les doigts... "La serviette en papier où tu posas ta bouche, ma mèche de cheveux quand il n'étaient pas gris, mon foulard quelques plumes et cette chanson louche, avec autant de mots que nous avions de nuits, le pick-up du tonnerre et les gants de la pluie, la voix d'André Breton, l'absinthe de Verlaine, les âmes de nos chiens, en bouquets réunis et leurs paroles dans la nuit comme une traîne..."



En quittant le Marché Central, je passe par le centre ville saluer une fois de plus les monuments de mon enfance. 4 photos au passage et autant de cartes postales sans descendre de my sweet Ginet, je suis tellement bien sur elle...















Et tant qu'à faire, je vais rouler encore une fois le long de l'Atlantique... A Rabat, l'appel de l'océan est irrésistible...







Un pêcheur prend un poisson juste à mon passage... Quand il n'y a pas de poisson, la pêche c'est comme la voile quand il n'y a pas de vent: une philosophie... Quand je vois un pêcheur, c'est toujours mon père qui est là face à la mer...







Coucher de soleil sur la plage de Miramar, la bien-nommée, celle qui regarde la mer, comme nous avec nos yeux d'enfants.







Ce soir, bonheur, je suis invité chez M'Barka et Fatna. Nous avons grandi ensemble avec Fatna dans le Jardin disparu de mon enfance, nous évoquons bien sûr tout ce bon vieux temps passé en savourant une divine harira, des brochettes suivies par le rituel du thé, les pâtisseries et les oranges sucrées comme un soleil de paradis...












Fatna, c'est ma soeur, M'Barka c'est mon autre mère, je vous raconte tout cela demain, car demain je suis à nouveau invité. Aujourd'hui, c'est juste un apéritif, une petite mise-en-bouche. Si je continue à ce rythme, my sweet Ginet va se plaindre de mon sur-poids... Demain, puique tout le monde est bien sage, nous savourerons ensemble un couscous royal chez Maman M'Barka, bande de veinards, avant d'aller faire un tour aux Jardins Exotiques et à la petite plage de Bouknadel, la toute première plage de mon enfance, blottie au pied de la falaise...

mardi 27 février 2007

Jour 27 : Le souffle de l'Atlantique



Aujourd'hui Lundi 26 Février 2007, je commence la journée et la semaine par une grasse matinée, ce n'est pas dans mes habitudes, c'est la deuxième depuis mon départ de la maison le 1er Février. C'est un rayon de soleil qui me réveille en passant par les grilles de ma chambre au sous-sol de la maison d'Antoinette. Un soleil ne doit jamais rester trop longtemps seul derrière une grille. Je file vers mon cyber-café et pendant que je poste mes photos du Chellah et des Oudaïas, on m'appelle pour m'inviter à déjeuner. Je suis à la bourre et je n'aime pas me bousculer, sauf quand c'est pour la bonne cause...



Nous déjeunons avec Jean-Pierre et Mathieu son stagiaire géologue, à la "Veranda", à l'ombre des palmes et de l' immense cathédrale de Rabat. Ce n'était pas notre église mais j'y ai un souvenir extrêmement précis de ma confirmation : tous les "confirmés", nous avions embrassé ce jour-là sous l'imposante "nef" la main de l'évêque, une main replète ornée d'une grosse bague aux reflets d'améthyste... Jean-Pierre me remémore le nom de l'évêque en ce temps-là, Monseigneur Amédée Lefèvre, on oubliait parfois me dit-il les deux dernières voyelles de son prénom, pour faire de lui Monseigneur "Amed" : une forme d'humour qui réduisait le fossé qui peut séparer deux religions... Tout est bon pour  réduire et combler ce genre de fossé...



Le menu nous arrive sur un tableau d'écolier... Il fait doux à l'ombre des palmes et dans l'ombre de Monseigneur Amed(ée)... L' hôtesse me conseille une papillote de dorade... Jean-Pierre nous choisit un vin rouge "Médaillon" divin, en harmonie avec l'environnement. Jean-Pierre exerce un fabuleux métier : il fait de la recherche d'EAU au Maroc par méthode sismique. Je vous l'ai dit et répété, l' EAU est ce qu'il y a de plus précieux sur terre. Comme dit Jean-Pierre, on pourra se passer de pétrole, jamais d'eau, et presque jamais de "Médaillon". Nous parlons de géologie, de sismologie, d'archéologie, de navigation, de Cap Juby (Tarfaya), de Saint-Exupéry, de Latécoère, de la Cordillère des Andes, de l'île de Chiloe, "mon île", de Francisco Coloanne, de Charles de Foucauld et des derniers lions de l'Atlas... On en a fait de beaux voyages sans quitter notre table de la "Veranda"... Et combien de nouveaux voyages se sont construits dans ma tête, il faudrait quelques vies pour pouvoir tous les vivre... Merci pour l'invitation Jean-Pierre, salut Mathieu, à bientôt du côté de Cap Juby...



















Avant de nous séparer, en quittant la "Véranda", Jean-Pierre nous entraîne dans un superbe immeuble rénové qui a échappé à la démolition grâce à un sursaut d'intelligence humaine : cela existe encore parfois ce genre de sursaut. Ce bel immeuble abrite la Galerie du Bou-Regreg, de belles photos noir et blanc et la maquette de ce grand projet d'aménagement de l'estuaire entre Rabat et Salé, qui devrait durer une dizaine d'années... Tout en haut au centre de la maquette, on aperçoit le port de plaisance, déjà bien avancé, où je pourrai bientôt, pourquoi pas, amarrer mon petit compagnon du vent, mon fidèle "YEMAMBA II".



Quand nous finissons par nous séparer, la journée est bien entamée, on frise largement les seize heures, je n'ai plus qu'à enfourcher my sweet Ginet et rouler vers le rivage, retrouver le soleil là où je l'avais laissé hier, déclinant sur le souffle de l'Atlantique...




Sur la route de l'Océan, my sweet Ginet freine des 4 patins sous la frondaison flamboyante, exubérante, époustouflante de ce bougainvillier. Ce qui sépare le Purgatoire du Paradis doit ressembler à cela : au Purgatoire, on dort à même le sable des déserts, au Paradis on s'endort sur des nuages voluptueux de bougainvilliers... Il faudra que je retourne demander confirmation de tout cela au PPP, le Petit Père Piou...



















Il est là le souffle de l'Atlantique, immuable. Ce souffle-là, c'est la respiration du monde... C'est la vie...








































""J'ai vu se briser tant de vagues sur la plage, et j'ai chassé les ombres des nuages..."" 




""Elle est venue demander son chemin, j'ai cherché ses yeux voilés par sa main... Ramassant une brindille que la mer avait jeté, sur le sable mouillé je l'ai tracé... A travers les dunes elle a disparu, je ne sais pas si je l'ai revue... Vainement j'ai essayé de suivre les traces, que le vent, le vent, le vent efface... ""



""Je vais je viens, les chemins se nouent, sur le rivage mon espoir échoue... J'ai vu se briser tant de vagues sur la plage, et j'ai chassé les ombres des nuages...""











Ce soir encore, on a frisé le rayon vert... Un jour, je vous photographierai le plus beau rayon du monde, le plus éphémère..







La nuit tombe sur le rivage de la plus belle ville du monde... Ici rien ne change. Le souffle de l'Atlantique est immuable. C'est lui qui me berce depuis le tout premier jour, même quand je suis à l'autre bout du monde. Demain, nous irons longer les remparts de ma naissance jusqu'à la Maternité des Orangers, si tout le monde est bien sage, comme il se doit.